Ô, Temps........
De toute sa vie, il avait exercé bien des métiers, ce jour là, il est chauffeur de petite remise, comme un taxi, mais sans le bidule sur le toit, trajet réservé. Ce matin, il se rend à l’aéroport de Saint Exupéry chercher un client, un habitué. Ce client, il l’aime bien, son métier l’amène à voyager sans cesse, à travers la planète, alors il le conduit ou le ramène souvent, parfois plusieurs fois par mois, vers des destinations lointaines.
C’est une célébrité, presque une star de son milieu sportif, on le voit même à la télé, il fait la fierté de sa petite ville de province, mais il est resté simple, courtois, c’est pour ça que le chauffeur l’aime bien, ils ont le même age, a quelques jours prêt, ils auraient pu être copains d’enfance, le hasard ne les a pas fait se rencontrer. Depuis, ils ont passé héroïquement, à plusieurs reprises et dans des conditions épouvantables, le col qui sépare leur ville de la Capitale des Gaules !
Quand on est « taxi », c’est sympa d’avoir un habitué, pas la peine de l’attendre avec une ardoise au nom de « Monsieur Machin », on se reconnaît, on se serre la main, on se demande des nouvelles, et puis, comme on le connaît un peu, juste avant d’arriver, on évite la rocade un peu triste, il préfère qu’on arrive par la ville…….
Le chauffeur est arrivé en avance, comme à son habitude, cela lui laisse le temps de déambuler dans cette porte ouverte vers le monde qu’est cet aéroport, tout près de ces voyages que lui ne fera pas.
Le vol arrive de Stuttgart, ça c’est un vol sérieux, il n’en arrive généralement que des professionnels, pas de touristes à chemises ouvertes qui reviennent d’Egypte ou des Antilles françaises, ici c’est costume et air pressé, on admet le polo, à condition que ce soit un Lacoste.
Le chauffeur attend donc que son client arrive, il sait qu’il va patienter un peu, il ne sort jamais parmi les premiers. Autour de lui, des hommes à panonceaux au nom de « Monsieur Untel », des gens encravatés, et ce couple d’anciens, flanqué de deux gamins, des jumeaux semblet’il , s’ils ont deux ans, trois ans, c’est bien le maximum.
Le vol est arrivé, les portes coulissantes s’ouvrent et se referment sur des valises roulantes, des chariots à bagages poussés par des gens bien sérieux, on s’interpelle, on s’embrasse, « le voyage s’est bien passé ? ».
Puis arrive cette femme, belle dans son tailleur strict, tirant un bagage d’une semaine, c’est la mère des enfants, les mômes se précipitent, ils font tomber des billes. Agenouillée au milieu du passage, elle embrasse et ramasse, elle serre contre elle les deux petits, les caresse et les cajole.
Au milieu de cette foule qui galope, le temps semble arrêté, l’émotion est flagrante, le chauffeur peut encore attendre, sa journée est gagnée, on est Dimanche matin, et méprisant Orly, Satolas n’est pas triste, avec ou sans Bécaud.