Il se revoit enfant, 5 ans, bientôt 6, il est à la campagne, c’est une convalescence, une pneumonie qui l’oblige à dire pouce en cette fin d’année scolaire, pas grave, c’est encore la Grande Section; plusieurs visites chez le médecin, qui décide de l’hospitalisation, dès ce soir, ou demain matin, le petit bonhomme décide, ce sera dès ce soir, pas besoin d’attendre, petite décision de petit brave, c’est comme ça qu’il le voit.
L’hospitalisation sera longue, trop petit pour avoir une réelle vision du temps passé, presque trois décennies plus tard, quand il sera hospitalisé, pour d’autres peines, d’autres douleurs, il les comptera les jours, comme un Robinson, égaré sur Son Ile Déserte, mais ça, il ne le sait pas encore, il est à la campagne, chez Pépé et Mémé, Saint Priest la Prugne, à l’entrée du Bourg. La fenêtre de la cuisine au plafond bas, donne sur la rue principale du village. Plusieurs fois par jour, les camions de grumes qui passent assombrissent encore plus la pièce, sensation de nuit passagère…..
Chez Mémé, tout est différent, autre rythme, autres rites, presque de la transgression par rapport à la ville, aux habitudes de la maison. Après le repas du soir, on sort se promener dans les odeurs du soir de ce début d’été, on ramasse du serpolet, dont on fera des tisanes, on aperçoit même encore, parfois, un char de foin tiré par une paire de bœufs. En ce milieu des années 70, la mine d’uranium est encore ouverte, le village vit encore, on va à l’épicerie, chez la Fernande tout à coté, les produits sont exposés dans des casiers de bois peints en blanc. Les jours de messe, on va chez la mère Vinch, l’autre magasin du village, elle est plutôt gentille cette dame là, elle lui donne des bonbons, des « Pierres de Lune », pas terribles comme bonbecs en fait, mais quand c’est offert par la marchande, il se sent drôlement important !
En fait, chez Mémé et Pépé, on est plutôt pas mal ! Pépé, on le voit moins, il travaille encore, à la scierie du coin, à l’age ou les fonctionnaires profitent de leur retraite, il va encore au turbin, le reste de son temps, il le passe bien souvent au jardin. Pépé a des habitudes bizarres : le matin, au petit déjeuner, il finit la soupe de la veille, c’est bizarre, et ça ne le tente pas, le gamin, il préfère le café au lait, il n’y a pas toujours de cacao chez Mémé.
Les journées s’écoulent, fraises des bois et farniente, la balade serpolet du soir terminée, il faut aller dormir : la chambre est à l’étage, sombre et fraiche, il se glisse entre les draps serrés et glacés, il aime cette sensation, le lit est glacial mais se réchauffe vite, recouvert d’un énorme édredon. Il entend, à l’étage d’en dessous avant de s’endormir, les voix de la télé, il s’endort paisible………..
…… Et tout cela bascule, le cerveau virevolte, sans contrôle, il revoit Thiers, la rue de Lyon, chez la tante Marinette, l’appartement est au deuxième, voire au troisième étage, WC sur le palier, l’A72 n’est pas encore construite, du haut des fenêtres, on voit défiler les camions dans cette ville-toboggan. A Thiers, les maisons sont construites à flan de montagne, à ses yeux d’enfants, les escaliers sont vertigineux, quasiment verticaux. Au village des Belins, il y a l’autre Grand-mère, paternelle celle-ci, un personnage pénible, toujours à pleurnicher, on y va moins souvent que chez l’autre, c’est vrai, mais ce n’est pas grave……..
…….. C’est reparti, la mémoire joue aux montagnes russes, sans respect de la chronologie, il revoit Avignon, il est haut comme trois pommes, chez les souffleurs de verre, qu’est ce que ça l’a marqué…. Le Pont du Gard, les cailloux qui lui marchent sur les pieds…….. Zooooom, au mépris du temps, le voici en Bretagne, la toute première fois qu’il voyait l’Atlantique, une visite à Notre Dame de la Garde, avec les cousins d’Avignon, La Méditerranée, les souvenirs défilent, à toute allure, il a lu quelque part qu’avant de mourir, on voyait défiler sa vie, là, il ne voit que des choses agréables, cela ne doit pas être la Faucheuse….. Et il se réveille, apaisé, reposé, un grand rêve agréable, les neurones ont rembobinés la bande !
Une chose est sure, lorsqu’il écrira SES « Noisettes sauvages », qu’il fera son Sabatier (Robert, pas Patrick, l’écrivain, pas l’hébété), son Saugues à lui, ce sera Saint Priest.