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Bout du rouleau

Nous avons tous notre madeleine de Proust, c’est quasi nécessaire, obligatoire ! J’ai le bonheur d’en avoir deux, au moins, en cherchant bien, je suis sur d’en trouver d’autres !

Ma première madeleine, c’est l’odeur de la torréfaction du café, j’ai passé une partie de mon enfance auprès de l’usine des établissements Boca, tous les matins, vers 11h00, on  grillait les précieux grains, les séquelles sont inévitables !

 

Ma deuxième madeleine est venue bien plus tard ; j’avais une vingtaine d’années quand mon parcours professionnel et radiophonique, oui, j’ai un physique de radio, quand mon parcours donc m’a amené à sévir sur une FM dont les locaux étaient situés au dessus de l’imprimerie d’un journal hebdomadaire régional, également propriétaire de la station de radio.

Chaque semaine donc, je descendais d’un étage pour glaner quelques informations nécessaires à mes émissions. Le bonheur s’emparait alors de moi, la chaleur qui régnait  à la rotative, l’odeur du papier, couplée  à celle de l’encre fraiche, les odeurs mécaniques, cela ne me laissait pas indifférent.

 

Le temps, et mes différentes pérégrinations m’ont amené, des années après, à travailler beaucoup plus près de la bête, pas comme imprimeur certes, ma légendaire maladresse m’y aurait fait perdre un doigt, ou pire, un bras peu après ma prise de fonction, je me retrouvais  donc au service expédition du journal. Je côtoyais donc les bobiniers et les rotativistes, la chaleur et le brouhaha terrible de la « Creusot Loire ».

 

Il existe deux types d’imprimerie, l’imprimerie de labeur et l’imprimerie de presse. Quel que soit le type, le métier est pénible, difficile : chaleur constante, bruit, charges lourdes (la ½ tonne d’un rouleau de papier journal est à cet égard éloquente), quelques visiteurs de la rotative y ont vu du Zola ! D’autant plus qu’une rotative, ce n’est pas une photocopieuse ou une imprimante multifonctions ! Pour imprimer un journal, il faut cajoler le monstre, le régler minutieusement, respecter la tension du papier, le mouillage, la pate d’encre doit se diluer correctement. Après plusieurs centaines d’exemplaires gâchés,  le journal est « bon à tirer », mais il faut encore être vigilant, le moindre petit grain de sable peut gripper la machine, la casse assurée : un bourrage papier, un blanchet abimé et c’est une heure, deux heures de perdues, mais on reste jusqu’au bout, le canard doit sortir à tout prix, et dans les temps !

 

Le journal est un musée, la rotative est une vieille dame, ici pas de procédés informatisés, les hommes courent et grimpent, c’est une épreuve physique ! A l’expédition, on suit le rythme de la bête, on court aussi, les sacs postaux doivent être fermés au plus vite, ne pas faire attendre les transporteurs, les maisons de la presse doivent être livrées dans les plus brefs délais et……. Ca casse !!!!!!!!

 

Ce n’est qu’un changement de bobine, pas grave, dans 5, 10 minutes maximum ça redémarre.

Et on galope de nouveau, il fait 36° les t shirts collent à la peau, on court, on glisse, en serrant un peu fort un nœud, je me coupe un doigt avec cette put…. ! de ficelle plastique, je ne m’arrête pas, on a presque fini….. L’emballeuse s’est emballée, l’emballeuse à journaux bien sur, elle n’a jamais fonctionné correctement. On termine les enveloppes des abonnés  au ruban adhésif, les transporteurs s’impatientent, parfois, ils nous aident, on a perdu encore 20 minutes !

 

Ces couacs, ces dysfonctionnements des machines, tout le monde les connait, la rotative est une vieille dame et la direction du journal ne veut pas réparer, uniquement des bouts de  ficelle, de toute façon, disent il, dit ELLE, on va vendre bientôt ! Ses salariés sont des voleurs et des pillards, a-t-ELLE hurlé récemment dans les couloirs.

 

 

On a fini ce soir avec seulement 3/4 d’heures de retard, on a fait au mieux ! Avant de partir, la douche est salutaire, ça sent bon l’encre fraiche mais, mélangé à la sueur, aux odeurs mécaniques, ça pique  les yeux ! On a perdu du temps, mais le journal est sorti, on râle, on peste, mais le travail est fait !Une fois encore, La Direction n’a pas jugé utile d’être avec nous jusqu’au bout…………

 

C’était prévu, le titre a été vendu, le constat est imparable, les machines sont à bout, il y a trop de frais à engager pour poursuivre la fabrication sur place.A partir de la deuxième semaine d’Avril,  le journal local sera maintenant imprimé loin, très loin d’ici, dans l’Yonne, une imprimerie moderne ou les ouvriers sont derrière des écrans, en blouse blanche, où on ne court presque pas.

Les ouvriers d’ici, de cette machine à l’ancienne,  ont donné de leur sueur, de leurs corps, tout ça, ça vous esquinte le dos, les oreilles , la peau et parfois même le cerveau !

 

C’est la panne inattendue d’une des machines les plus récentes de l’imprimerie qui aura raison de la Bête avec une semaine d’avance.

 L’Imprimerie de la Rue de Sully s’est éteinte en cette toute fin de Mars

Qu’elle repose en paix.

Commentaires

  • Belle évocation. J'en parle dans mon prochain livre, en rappelant qu'il y a une scène, dans "le Psychopompe", directement inspirée de ce lieu magique. La fin d'une époque.

  • Faut que j'relise le psychopompe me souviens plus du passage.Vrai souvenir, on en a ch.. la bas mais il y avait aussi de bons moments, j'ai reellement un gros pincement au coeur!

  • J'ai eu des frissons et ça fait longtemps que la rue de Sully et sa cave ne me font plus frissonner!! ça doit être autre chose...

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