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Petit Oiseau

La gamine est devant moi,  furieuse, un peu incompréhensive, elle a cet œil noir que je lui connais bien, d’ado contrariée dont les conviction idéalistes viennent soudainement d’être bousculées :

« C’est que d’l’humour, je lui dis, prends du recul !

 Je sais que ça va passer, mais il va falloir ré expliquer, ramer mais bon………..

 Elle me connaît depuis toujours, je la connais depuis 16 ans, elle a 16 ans, pas ma gamine, non, mais on a toujours été proches, pas ma famille, mais presque. Fille d’amis proches, à qui l’on aime rendre service, je lui ai servi de baby-sitter, quand il le fallait, de « je te récupère à l’école, ta mère a une réunion », de confident, souvent, quand des soucis, des rêves, des colères, dont elle n'osait s'ouvrir  à ses parents, avaient besoin de l’œil d’un adulte, de son approbation…….. Ou pas !

 

Elle a toujours aimé mon « décalage », ma façon, un peu différente de voir les  choses, tout ça avec l’accord absolu de ses parents qui m’ont bombardé officiellement un jour « Precepteur en perversion », j’adore le titre !

 

A 6 ans, à peine, je lui ais fait découvrir « La folle histoire de l’Espace », de Mel Brooks, elle a regardé, rembobiné, tordu, usé la bande vidéo, la K7 repose maintenant en paix, on a trouvé le DVD, ouf ! Je lui ais fait découvrir Desproges, la bataille de boudins blancs avec Prévost, l’interview de Sagan, Le Réquisitoire contre Le Pen suivi du kamikaze plaidoyer de Rego, qui raconte la journée d’un nazi la petite séquence de « 30 Millions d’Amis » ou Pierre Desproges découvre, sur un plat recouvert d’une cloche, un lapin vivant et gueule : « c’est pas cuit là ! ». Elle adore Monsieur Fraize, que je lui ai fait découvrir, cet être bizarre, elle kiffe grave ! Musicalement, c’est autre chose, Higelin la gonfle, elle préfère Izia, elle adore le rap d’aujourd’hui, je préfère « Grandmaster Flash »

 

Elle a débarqué chez moi en début début d’après midi, coup de sonnette : « Ouais, c’est moi, j’ai un prof absent, tu m’offres un café ? ».

 

Le café, un goût partagé avec la peste, elle sait qu’a la maison elle trouvera toujours un expresso frais, grain broyé à la minute, j’ai un « Papouasie Nouvelle Guinée » qu’elle ne connaît pas, c’est l’occasion, sans sucre, avec un spéculoos…….   On discute, un peu, tout va bien pour elle en ce moment, de bonnes notes à l’école, son petit copain est toujours super, elle a bien aimé « Omnibus », l’autre jour sur mon blog, jeu de mots à 2 euros, qu’elle m’a dit, mais ça l’a amusée.

 

Le café est terminé, j’ai une bricole un peu urgente à terminer sur l’ordi, un montage son qui me donne un peu de fil à retordre, elle furette çà et là dans ma bibliothèque, amoncellement de bouquins, de revues, de journaux dans lequel je suis le seul à me repérer. Une étagère cependant échappe à cette anarchie, derrière deux portes vitrées s’ouvre mon « Paradis », ensemble d’ouvrages que j’aime par-dessus tout et que j’aime avoir, immédiatement à portée de main sans avoir à les chercher. Il y a là tout Desproges, évidemment, tout Tolkien, assurément, du théâtre, un peu, la pièce « Bataille dans le Noir », de Topor, que je monterai un jour, c’est promis, du Ribes, du Yanne, il y a même, de chez Castor Astral, « Un oursin dans la main », recueil de poésie de Francis Blanche, émouvant et hilarant, il y a « Le Dictionnaire du Diable » de Bierce, unjonathan Livingstone le goéland, bref, tous mes trésors à moi. Il y a même quelques bouquins que je possède en deux exemplaires, pour pouvoir en prêter, en donner un s’il le faut, en gardant pour moi un « original ».

 

Je suis en plein mixage, je me doute sans la voir qu’elle a plongé directement sa curiosité dans mon nirvana littéraire, j’imagine ses doigts effleurant mes bouquins et…………

La gamine est devant moi,un peu  furieuse, un peu incompréhensive, elle a cet œil noir que je lui connais bien, d’ado contrariée dont les conviction idéalistes viennent soudainement d’être bousculées :

« C’est que d’l’humour, je lui dis immédiatement, prends du recul !

 

Entre ses mains, un petit bouquin, des éditions du Seuil, Collection Points n° 375.

Je reconnais le livre, la  photo de couverture je la connais par cœur, je comprends dans l’instant, le livre c’est « Chroniques de la Haine Ordinaire » de Desproges, la gamine est outrée : « Comment j’ai pu aimer ce type, me dit elle, comment a-t-il pu me faire rire ! C’est inimaginable ! Je suis trop dégoûtée !!! »

 

Sur la photo de couv’ la trogne de Desproges, souriant. Il tient entre ses doigts un poussin…….. ….. Sanguinolent !!! C’est trop pour une ado !

 

« Assieds toi, je lui dis, je te refais un café, avec un spéculoos!

C 'est du second degré, je vais t’expliquer. »

 

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